L'écriture


Écrire : du besoin vital à l’accomplissement

Écrire est passionnant, libérateur, parfois aidant, parfois cela permet de repousser, d’explorer nos propres limites et de mieux se connaitre. Cela permet également structurer sa pensée ; Je fais partie des gens qui réfléchissent « mieux » à l’écrit qu’à l’oral. Écrire est pour le moins paradoxal : c’est une tentative de capture, par les mots, qui, au lieu d’être capable de copier la réalité, en crée une nouvelle. La force symbolique et polysémique du langage est un atout que j’aime déployer dans mes écrits, charge au lecteur de créer sa propre interprétation du support textuel. Écrire c’est laisser une trace quand l’oralité reste impalpable. Il semblerait que c’était considéré comme un acte sacré par les sociétés dites « primitives ». Je remarque que plus le temps passe et que plus je vis mon écriture comme un engagement envers le monde.


Un vaste univers poétique

La poésie fait partie intégrante de ma vie et m’a portée secours plus d’une fois ! Durant certaines périodes, elle est plus présente. Je suis sensible aux atmosphères des lieux où je me trouve depuis l’enfance : mon cerveau relie intuitivement les sensations influencées par la météo, par les lieux en eux-même et par la vie qui s’y trouve. Parfois, j’ai ce que je nomme mes « fulgurances », où sans prévenir, face à un quelconque stimuli, un univers de sensations poétiques s’ouvre à moi : mêlant senteurs, visions variées où les temps se confondent, textures, sons, ambiances, … Le tout dans un ensemble cohérent et toujours unique, avec son « identité propre ». Ma plume – et mon art en général – s’inspire grandement de ce genre d’expérience, mais aussi de moments d’inspiration qui me transcendent.

Fraise des pins

- Nouvelle -


J’ai franchi le pas de ma porte en ce matin d’été, comme je l’ai fait voilà exactement soixante ans, le jour où je t’ai rencontré. J’ignorais alors que tu changerais ma vie.

Tu n’as jamais compris ce que j’aimais tant dans les commémorations. Encore aujourd’hui, je suis certain que tu rirais du pauvre vieillard que je suis devenu, un brin trop nostalgique face à l’infatigable marche du monde. Tu voulais toujours aller de l’avant et plus d’une fois, tu as foncé tête baissée. Quand je te tirais d’affaire, tu étais trop fière pour le reconnaitre, mais tes grands yeux de pluie criaient : Merci !

L’esprit embrumé par le chahut des mouettes, d’un pas contemplatif, j’ai traversé la place de l’église pour rejoindre le port, longeant ces quais où les pêcheurs ne se bousculaient plus. Tout proche de la nouvelle capitainerie trônait l’ancienne devanture du « Bateau ivre ». Elle était restée accrochée là, comme un vestige du temps où nous dansions le foxtrot, emportés par l’ivresse de nos folles nuits. Tu ne savais pas à quel point tu étais radieuse, lovée dans tes robes cintrées et tes petits foulards. Même après quelques verres, ton sourire ne perdait rien de sa touchante sincérité. Je ne pouvais pas te laisser cinq minutes sans que l’on vienne t’aborder : « On dirait que mon gars n’va pas tarder ! » disais-tu malicieuse, avant de me sauter dans les bras, dès que tu m’apercevais.

Passé les docks, c’est le cœur lourd et rêveur que je me suis engagé sur le sentier côtier. Parmi les riches maisons qui bordaient encore l’océan, on pouvait voir celle que ta tante avait acquise pour ses vieux jours et qui t’amena à passer l’été dans le pays, puis les deux étés suivants, ceux d’avant sa mort. Une petite famille parisienne venait de la racheter. Ils avaient fait creuser une piscine, ajouter un tobogan, planter un laurier-rose et deux palmiers, installer des parements métalliques sur la façade et ils avaient renommé l’endroit « la villa du bonheur ». Je continuais ma route.

Je passais sous la voûte des arbustes inclinés comme des doigts de fées. Très vite, je réalisais qu’emprunter le chemin rocailleux, enjamber les amas rocheux, grimper ces quelques marches, me demandait bien plus d’efforts que l’année passée. Comme le soleil commençait à taper, j’enfilais ce chapeau - certes peu fringuant - que tu m’avais offert d’un air très fier, un jour qu’il était bradé et qu’il faisait chaud. Même pour l’époque, il avait l’air vieillot, pensais-je tout attendri.

Sur ma gauche, les hauteurs – toutes pelées de sel - avaient revêtu leurs grappes de bruyère cendrée, leurs tapis d’armerie et leurs duvets de queue-de-lièvre. Sur ma droite, la falaise plongeait en d’abrupts récifs, où les colonies de cormorans semblaient siéger comme une étrange collection de statuettes, agencée par les marées.

Je quittais un instant la côte, pour m’enfoncer dans le petit bois. Et je vis le vieux pin. Très vite, les larmes roulèrent sur mes joues et me masquèrent la vue. J’avançais incertain, pour caresser l’écorce, à l’endroit où tu avais gravé nos initiales - M pour Marthe, J pour Jean – dans une petite fraise, car tu aimais les cueillir sous les pins avec moi et que c’était presque comme un cœur, mais en plus délicieux. J’en ramassais quelques-unes, les doigts tremblants, songeant au surnom de « fraise des pins » que j’avais fini par te donner et qui te fit rougir au début.

Je poursuivis péniblement jusqu’à ma destination. J’étais à bout de souffle en atteignant la crique. Je descendis sur le sable chaud et déjeuna à l’ombre du « rocher métamorphe » qui nous avait amusé pendant des heures. Tu étais meilleure que moi à ce jeu.

Je croquais une pomme, quand il me sembla entendre résonner ta voix cristalline, comme au premier jour. J’étais amoureux avant même de te voir. Mais aujourd’hui, je suis entré dans notre grotte secrète et tu n’étais pas là. Quand j’ai osé maladroitement t’interrompre, je t’ai demandé quelle chanson tu chantais. Tu as d’abord poussé un cri de surprise. Tu m’as ensuite expliqué que tu improvisais dans une langue imaginaire et qu’il valait mieux que je ferme la bouche car une mouche allait finir par y entrer.

Ce soir je suis rentré sans admirer le coucher avec toi.

Je saluais l’infirmière aux abords de l’église. Puis, j’ouvris la porte en soupirant. Ma femme attendait là, bien enfoncée dans sa chaise à bascule. Je lui montrais ma cueillette et glissais une fraise sauvage entre ses lèvres. Elle se tourna vers moi, le regard désespérément vide, mais je crus entrevoir une petite étincelle dans ses yeux lorsqu’elle avala le fruit. Je commençais à m’adresser à elle en sachant qu’elle ne répondrait pas, lorsque le téléphone se mit à sonner. Alors que je m’éloignais pour décrocher, je remarquais que sa tête n’avait pas bougé d’un centimètre. Ce n’était pas moi qu’elle avait regardé. Marthe continuait de fixer mollement la pendule.

Mouvoir

- Nouvelle -


La journée fut intense. À l’aube, pour la première fois de ma vie, je fus conviée au Jardin des Émeraudes. Au cours des jours précédents, j’errais, dans un lieu de l’esprit où je n’étais jamais allée, mes paroles sonnaient creuses et tout s’effaçait, dans l’attente de ce moment. Ce genre d’événement était toujours inattendu, mais les choses étaient si bien préparées, dans le cas où cela surviendrait, que l’on pouvait rester serein.

Il faisait encore nuit quand je quittai le Foyer de l’Étoile, accompagnée de la Grande Mère Ystli. Elle était belle ce matin-là. Elle était toujours belle, mais dans ses habits de cérémonie mauves, c’était différent encore. Les passants baissaient la tête en nous croisant. J’avais aussi dû enfiler une robe mauve, qu’on m’avait prêtée pour l’occasion. Je n’aurais pas su dire si c’était plus confortable ou non que les pantalons règlementaires. D’une main, elle tapota tranquillement ma jambe engourdie, qui s’était quelque peu perdue dans l’allée de l’omnibus - sous ses jupes larges et simples - et me demanda avec son sourire doux et franc comment je me sentais. Je lui confiais que je me trouvais flottante, car j’avais à peine dormi. Les lampes qui défilaient dans les rues, les fenêtres éclairées, et le ciel qui s’éveillait dans la fraîcheur : tout cela me semblait irréel, disais-je en soufflant une chaude vapeur contre la vitre.

Après un long tunnel, nous sommes descendues au terminus. La gare presque déserte qui s’étendait de part et d’autre des rails m’empêchait - pour l’heure - de savoir où je me trouvais. Nous sortîmes au petit jour par l’entrée principale : une grande place pavée s’étendait là, avec sa fontaine généreuse composée de quatre animaux merveilleux, crachant abondamment leur eau. On trouvait en face d’imposants bâtiments, où se faufilait une allée d’escaliers, bordée de verdure. Elle s’arrêtait là-haut, sur un monumental portique grillagé. Le jardin était gardé derrière une grande muraille bardée de lampions, dont nous apercevions seulement le sommet, à perte de vue, derrière les bâtisses de pierre. Chaque marche était une épreuve, mais en approchant, pas à pas, du grand portail en fer forgé qui trouait le mur, je commençais à apercevoir, derrière ses volutes fleuries et métalliques, les cimes du jardin verdoyant. Mon cœur se mit à battre intensément. Les premiers rayons du soleil frappèrent mes yeux une fois arrivée en haut.

La Grande Mère Ystli s’avança vers un homme en uniforme violacé, tandis que je reprenais mon souffle. Ils échangèrent quelques mots. Le gardien nous fit signe de rentrer. J’avais du mal à comprendre ce qui m’entourait. J’avais rarement vu autant d’arbres. Nombre d’entre eux étaient perchés sur de grandes tombes noires. Des loupiotes éclairaient les allées semées de dalles éparses. Le soleil peinait parfois à traverser les feuillages, tant certaines branches étaient enchevêtrées, à l’image des tombeaux qu’ils surplombaient. C’était un monde étrange, foisonnant, tortueux.

Quand nous sommes arrivées, au détour d’un passage longé d’arbustes tordus qui se refermaient sur nous comme des doigts de fée, tout le monde se trouvait déjà là, debout dans la ronde d’une clairière : nos compagnons de grade, les mères du foyer, et de nombreux enfants de Lumière. Presque tous me regardèrent.

L’alcôve était taillée dans un grand bloc de basalte noir qui nous dominait. Des effluves de cire fondue nous traversaient les narines, provenant des dizaines de minces niches plein ceintre qui étaient creusées dans le pourtour et qui accueillaient des chandelles éclatantes, aux flammes chaleureuses. Le renfoncement où Thys sommeillait, sous une dalle noire bombée, était protégé par de fines colonnes spiralées qui s’ouvraient en leur sommet sur un somptueux décor végétal sculpté. Les ornements végétaux, composés d’élégantes plantes grimpantes entrelacées, couraient jusqu’au fronton, au centre duquel apparaissait un trou pas plus gros qu’une phalange. Sur le mur au fond de l’alcôve, on pouvait voir une photo d’elle et son sourire figé dans un cadre ovale, au-dessous de laquelle on distinguait quatre trous disposés en rectangle. J’aurais aimé revoir son visage, mais seules les mères avaient le droit de voir les corps.

La Grande Mère Ystli se fraya un chemin parmi les invités et se tint face à nous. Ses cheveux de blés retombaient sur ses hanches en légères volutes, contrastant sévèrement avec la sombreur du velours de sa robe. Celle-ci était cousue dans une longue étoffe évasée au sol, cintrée par une bande de tissu noir nouée à l’arrière et surmontée d’un col plissé qui laissait bourgeonner la finesse de ses traits, ses grands yeux étoilés doublés de sourcils tendres, son nez légèrement étiré, sa fine bouche de pétales roses et toute la délicatesse de cette pale figure de porcelaine, que caressait la lumière naissante. Dans un silence solennel, elle balaya l’assemblée, posant son regard - d’un bleu profond - sur chaque personne présente. Enfin, elle prit la parole, retraça la vie de la jeune fille, dans ses épreuves et ses hauts faits, énuméra ses qualités, ses doutes et ses espoirs, avec une émotion sincère, reprenant sans le prévoir, certaines de ses mimiques. Thys revivait sous nos yeux, dans nos mémoires, et les yeux brillaient d’un feu humide, comme les reflets des chandelles du tombeau. Ystli nous invita à sortir les mouchoirs blancs sur lesquels nous avions inscrit une dernière pensée pour la défunte. Un homme lui apporta un cierge, qu’elle prit entre ses mains, pour allumer le foyer de la tombe. Alors, une file s’organisa et chacun, à tour de rôle, jeta son bout de tissu griffonné dans le brasier : d’abord les Mères, puis nos frères et sœurs de grade - moi en tête - et enfin les enfants de Lumière. Quand ce fut mon tour, j’ouvrais une main tremblante et les larmes montèrent comme la fumée, à travers laquelle on devinait l’image de Thys, enfermée dans son petit cadre ovale.

Une fois que tout le monde était passé, Ystli fit brûler le dernier mouchoir et s’écarta humblement, laissant place à deux enfants de Lumière qui apportaient la plaque en laiton où était gravée l’épitaphe. Ils tournèrent quatre vis aux coins, dans l’emplacement situé sous la photo. Dans le crépitement du feu, les voix des Mères s’élevèrent soudain pour prononcer les mots de l’inscription :

« LÀ, de l’autre côté,
Ma destinée
Existe
Retrouvez-la. »

Puis tout le monde repris en chœur, en martelant chaque syllabe, répétant une fois, deux fois, trois fois. Ma voix tremblante se mêlait fébrilement à l’harmonie générale, communion sentencieuse et profonde de la parole. Soudain, le silence s’imposa, étendit son royaume sur le matin fragile, entra dans nos bouches qui se fermaient, pour embaumer nos cœurs vidés, d’une douce chaleur.

Le temps resta suspendu un moment, avant que la Grande Mère Ystli ne s’adresse à nous : « En cette journée particulière, nous sommes réunis pour nous recueillir, pour célébrer le passage de Thys parmi nous, pour partager les traces qu’elle a laissé dans nos cœurs et ainsi accomplir la cérémonie du départ. À présent nous allons pouvoir entamer le rituel de l’émeraude. » En disant cela, elle écarta les bras avec ses larges manches flottantes, ouvrant la main gauche sur une émeraude et la droite sur une grosse graine. Puis elle les tendit droit devant elle ; un enfant encapuchonné sous une cape blanche survint par la droite, avançant d’un pas certain, un long bâton doré à la main, récupéra l’émeraude, qu’il coinça au sommet du sceptre et vint se tenir à la droite d’Ystli. Un second enfant pareillement vêtu, arriva par la gauche et se figea de l’autre côté de la Grande Mère, les paumes jointes en creux pour accueillir la graine. Elle frappa dans ses mains et vint se ranger parmi nous. L’enfant à la graine disparut derrière le bloc basaltique, tandis que celui à l’émeraude nous fit dos et leva lentement le sceptre dans une verticale parfaite. Les yeux étaient rivés sur la pierre, et certains commencèrent à remarquer que l’autre enfant était maintenant au sommet, les bras levés vers le soleil, dans la continuité de son compagnon. Même dans le silence, tout le monde savait au fond ce que cela symbolisait. Quand le joyau atteignit le petit creux qui l’attendait au centre du fronton, il s’insérera parfaitement, en s’enfonçant légèrement, alors un coup de tambour retentit et l’enfant du ciel lâcha la graine en poussant un cri, les bras subitement ouverts. Le tambour entama un rythme, bientôt rejoint par l’assistance qui se tourna et se mit à défiler dans les allées, escortée par la marche des percussions en début et en fin de cortège.

La salle de réception aux grandes arches vitrées était probablement située au centre du jardin. Elle était circulaire et toute sa structure était constituée d’un bois foncé formant un dôme particulièrement impressionnant vu de l’intérieur. On avait dressé quatre longues tables en chêne massif qui proposaient une centaine de couverts. Au centre de la pièce une immense colonne joignait le plafond, c’est de là que provenaient les plateaux remplis de mets délicieux, que nous apportaient avec soin de charmants garçons vêtus de blanc. Tout autour, ils tiraient des rideaux de fines planches arrondies et de ces recoins fumants, ils sortaient de nouveaux plats chauds. J’étais assise entre Onélia et Yal, face à moi se tenait Yud, plus agité qu’à l’accoutumée. Tous étaient très proches de Thys, eux aussi. Tous découvraient ce lieu pour la première fois.

« - C’est très beau cet endroit, avait lancé Yal pour tenter une amorce de discussion.
- C’est vrai, fit Onélia en levant des yeux émerveillés, et la nourriture est...
- On ne reverra plus jamais Thys et c’est tout ce qui vous vient à l’esprit ? coupa Yud. Comment tu te sens Nehua ? fit-il en me regardant avec insistance.
- Oh, j’ai trouvé la cérémonie très intense. J’étais émue, dis-je un peu gênée. Mais tu devrais laisser les autres s’exprimer aussi.
- C’est qu’elle doit te manquer tant, répondit hâtivement Yud. »

Alors, j’ai baissé les yeux sur mon assiette, je me suis murée dans un silence pensif et la suite de la conversation a coulé sur moi. « Nous serons toujours là pour te soutenir Nehua. » insista Onélia, en posant sa main sur mon épaule. Je tournai la tête vers elle, vers ces yeux fatigués, mouillés et ce petit sourire qui tentait de projeter toute sa lumière dans ma direction. Puis je regardais Yal, qui baissait doucement son visage avec confiance, puis Yud, qui semblait acquiescer gravement.

Le repas s’acheva sur un très bon gâteau aux noix saupoudré de sucre blanc. J’eus du mal à finir ma part. Nous n’étions pas vraiment habitués à manger autant. Une rumeur grandissait, certaines voix s’éclaircissaient et les chaises commençaient à grincer sur le parquet. Nous avons quitté la salle le ventre lourd et nous nous sommes rendus devant la dernière demeure de Thys pour entonner le chant du départ. J’avais toujours aimé cet hymne et pourtant, jamais je n’aurais cru le chanter pour Thys. Elle était si jeune. Les maladies sont rares et bien soignées. Peu de gens partent avant d’avoir passé la Fixation des vingt-et-un. Je l’ai vue une dernière fois, sans le savoir… Je n’ai eu connaissance de ses problèmes de santé qu’après et je n’ai pas pu lui dire au revoir. Ça a été fulgurant. J’aurais voulu qu’elle tienne un mois de plus, car tout était presque prêt. Elle allait devenir une enfant de Lumière, comme nous tous après elle. Elle rêvait tant de cet état de grâce, de cette éternelle jeunesse. Elle aurait été la première de notre grade à devenir immortelle.

Et puis, l’assemblée a commencé à se disperser parmi les arbres ; chacun rentrait tranquillement à la maison, l’esprit léger. Ystli qui se préparait à partir me rassura « Tu peux rester te recueillir, tu sais comment rentrer seule. Nous t’attendrons pour le dîner. » J’acquiesçai. Elle s’éloigna en m’envoyant un dernier sourire. Yal et Onélia m’avaient dit au revoir au loin, avec de grands signes. Je les saluai en retour. Il ne restait plus que Yud et moi. Je lui fis comprendre que j’avais besoin de rester seule, que nous allions nous retrouver plus tard. Il comprit et s’en alla. J’attendis qu’il s’éloigne. Enfin, je poussai un long soupir que seuls les morts entendirent. Tout était vert d’espoir et les lourds blocs noirs étaient semblables à des trous béants, portails vers l’au-delà déchirant la réalité, sous le ciel bleu de la peine sereine qui me clouait sur place, face à ce qu’il restait de Thys.

Certaines secondes me semblaient si longues, que naissait au plus profond de moi le secret désir de la rejoindre un jour. Mais mon destin allait être tout autre. Dans trois jours j’allais être conviée à la Citadelle pour l’Affirmation du Choix. J’allais devoir affirmer, en ma prime jeunesse, du haut de mes vingt-et-une petites années, que je désirais garder la fraîcheur de ce corps, que j’avais ma place auprès des miens, et ce pour l’éternité. Le rituel de la Fixation des Vingt-et-un était irréversible. C’était un choix que tout le monde faisait, nous étions élevés pour prendre la bonne décision ce jour-là et il était difficile d’imaginer qu’il en fut autrement. Ce qu’il était arrivé à ceux qui avaient refusé l’immortalité, nous l’ignorions à vrai dire. Ils étaient si rares que de mémoire je n’aurais pu en citer aucun. À ce stade il s’agissait plutôt de légendes, de bruits qui couraient dans les couloirs et qui n’étaient bons qu’à germer quelque part, au hasard, dans l’imagination de quelque rêveur. On parlait d’une Arrière-Cour, où de nombreux secrets étaient gardés et même de fabuleux trésors, mais on ne savait pas vraiment en dire davantage sans partir dans des élucubrations hasardeuses. Au fond, j’ignorais si j’y croyais vraiment. Était-ce si improbable qu’un autre monde puisse exister ? Le décès de Thys m’avait définitivement secouée et je réalisai soudain, en y songeant, qu’une certaine douceur s’était évaporée avec le départ des autres invités. La solitude, peu permise habituellement, rendait mes réflexions plus rudes et je me sentais maintenant totalement réveillée. Je finirai par quitter ce jardin, moi aussi, et par la laisser là. Thys.

J’allais, une dernière fois, glisser ma main sur la dalle et laisser ces lieux derrière moi. J’allais, pour dépasser la grille… Pour rentrer. Ce fut inouï. Je fus émue, sérieusement émue, de découvrir l’immense panorama qui s’offrait à moi. La région s’était construite dans la vallée. Je pouvais voir l’imposante Citadelle, au loin, l’École qui y était accolée et le rempart, qui protégeait la Cité de Lumière et ses minuscules boîtes appelées maisons – appellation légitime une fois qu’on se retrouve à l’intérieur. On apercevait une partie du Grand Lac, les jardins remplis de pelouse, de chemins et de haies et même quelques champs en périphérie... C’était magnifique. Cependant, j’éprouvais un sentiment fort étrange : tout mon monde semblait si petit, vu d’ici. C’était comme un charmant décor de poupées. Les larmes roulèrent, sans un bruit, sur mes joues fatiguées. J’avais l’impression de sentir la présence de Thys à mes côtés, ses yeux immenses comme deux soleils d’ambre, scruter l’horizon. Je l’entendais presque souffler à mon oreille : « Regarde. Comme c’est merveilleux. Tu vois, au-delà de ces montagnes, il y a la Mer. » Je fus troublée par ces mots, par cette seule pensée, qui me paraissait aussi lumineuse qu’impénétrable. Ce mot je ne l’avais entendu qu’une seule fois, et je ne l’avais pas prononcé davantage. Il était resté si longtemps enfoui quelque part, dans les profondeurs de ma mémoire - dans un tiroir dont j’avais perdu la clef voilà des années - que l’idée qu’il avait pu resurgir en cet instant s’avérait des plus déstabilisantes. Alors je descendis les marches sans plus attendre, levant une tête songeuse vers le petit chemin de fer, qui menait tout droit au centre de la cité. Et je me retrouvai sur le siège d’un compartiment vide, observant le paysage défiler à hauteur d’homme.

Deux arrêts plus loin, un homme que je n’avais jamais vu s’installa face à moi, me salua de son chapeau. Il était encore tôt. Je n’avais aucune envie de rentrer au Foyer de l’Étoile avant que le dîner ne soit servi. « Il fait un temps radieux aujourd’hui » fit l’homme au chapeau d’un air distrait, presque rieur. Je secouai légèrement la tête en signe d’approbation. « Oh, pardonnez-moi, je vois que vous êtes en habits de deuil, vous revenez sûrement du Jardin des Émeraudes. Je suis vraiment navré que vous ayez eu à subir une telle épreuve… On ne voit pas ça souvent… » Je lui répondis de ne pas s’en faire, que c’était rare de vivre cela à mon âge, car je n’étais pas encore passée Enfant de Lumière, mais que c’était ainsi et que je n’allais pas si mal. Il esquissa un sourire en soulevant son chapeau une nouvelle fois. Comme on approchait du lac, je décidai de descendre plus tôt, pour rentrer à pied. « Attendez » fit-il alors que je me levais. « Prenez ça, j’en ai toujours de trop dans ma sacoche. C’est pour adoucir vos peines. » Je le remerciai, emportant le vieux livre aux pages cornées qu’il m’avait tendu. Je le tenais comme un petit trésor contre ma poitrine et les gens qui me croisaient me jetaient de petits regards circonspects, avant de se reprendre et de continuer leur route.

La station du lac était toujours aussi charmante avec ses murs jaune pastel, ses délicates moulures blanches et ses petites fontaines. Quand on sortait, une arcade dans les mêmes tons bordait une partie du lac, avec ses cafés et ses restaurants. La saison était encore douce et des gens avaient installé leurs chaises longues sur la rive, sirotant une boisson pétillante, discutant ou lisant un magazine en papier glacé. Quelques couples occupaient les bancs de la promenade. On aurait dit qu’ils oubliaient le monde. Quelques rares solitaires, aussi. Ceux-là avaient plutôt l’air perdus dans une contemplation heureuse, que les îles du Grand Lac semblaient satisfaire, dans leur proximité inaccessible et leur solitude partagée. Le chemin du tour du lac attirait encore des promeneurs en cette fin d’après-midi, malgré les deux heures de marche que nécessitait l’achèvement de la boucle entière. Mais surtout, il y avait cet attroupement joyeux autour du kiosque, qui virevoltait sous de petits ballons blancs et dorés, eux-mêmes tournoyant gaiement, pour les plus libérés d’entre eux. Je distinguais à peine la fanfare, mais les airs qui me parvenaient avaient quelque chose de familier.

Le groupe débordait sur le sentier et je fus obligée de me frayer un chemin parmi eux pour rejoindre la sortie vers la ville, un peu plus loin. On m’invita à danser plus d’une fois, mais je continuais d’avancer péniblement en faisant mine de ne pas comprendre. En inclinant la tête à droite pour éviter un ballon, j’aperçus les mariés en costume de cérémonie ; un espace s’était formé autour des amoureux, pour mieux laisser leurs pas de danse passionnés éblouir les participants. Les rires, la musique, les applaudissements et les robes criardes suffirent à me convaincre que je devais m’éloigner au plus vite. Un ballon éclata par mégarde non loin de mes oreilles, déclenchant quelques cris de stupeur dans la foule. J’avais franchi les festivités presque indemne, j’avais rejoint l’autre côté, moi qui n’avais jamais vraiment connu l’amour. Mais le livre, lui, n’était plus entre mes mains. Déçue, balayant vaguement le sol du regard et découragée d’avance par la tâche qui m’attendait, je décidai d’abandonner. Pourtant, une femme trottina à ma rencontre et me tendit ce qu’il restait du livre, en précisant que certaines pages avaient été emportées dans le mouvement et qu’elle avait fait ce qu’elle avait pu. Après de chauds remerciements, je poursuivis ma route.

J’atteignis la plage où nous jouions souvent enfants, avec Thys. Tout au bout, le ponton avait maintenu ses barques solidement attachées. La saison nautique était déjà passée. Il n’y avait pas d’enfants sur les galets ce jour-là, mais il n’y avait rien de surprenant à cela. Les enfants sont des créatures rares qui atteignent bien vite l’âge de l’éternité. Moi-même j’étais l’une des plus jeunes de la cité. On arrêtait de compter les âges à partir de vingt-et-un. Mais j’avais entendu dire que certains Enfants de Lumière avaient vécu plus d’un siècle. Il était d’ailleurs impossible de savoir qui était là depuis le plus longtemps, puisque tous les individus semblaient avoir le même âge, la même fraîcheur, la même vigueur. Une fois, un enfant de Lumière que nous avions croisé sur le ponton avec Thys, nous avait raconté qu’il existait une Arrière-Cour où vivaient des vieillards, des gens qui continuaient de grandir et qui finissaient par se ratatiner et mourir. Nous avions tenté de nous représenter la chose et cela nous avait beaucoup amusé. La mort nous paraissait si étrangère, comme ce fut le cas encore longtemps après. Probablement était-ce un original, un artiste, peut-être, qui voulait se jouer de notre crédulité. Des images de tous les visages que j’avais pu rencontrer se bousculaient soudainement dans ma tête. Je réalisais que seules les mères de l’École, chargées de notre éducation, paraissaient parfois plus âgées, mais c’était à peine perceptible. Peut-être était-ce simplement le poids du savoir qui alourdissait leurs traits ? Je m’approchai de l’eau, saisissant un galet que je m’apprêtais à lancer, quand soudain, quelque chose me frappa. Quelque chose que mon esprit avait toujours scrupuleusement évité de mettre en lumière. S’il m’était souvent arrivée de croiser les mères du foyer en dehors de celui-ci, je n’avais jamais rencontré - ni même aperçu - aucune mère de l’École à l’extérieur de l’École. Souvent, elles partaient d’une année sur l’autre. On ne les revoyait pas. « Ne pose pas tant de questions, Nehua, c’est impoli. » m’avait répondu l’une d’entre elles, quand j’avais l’âge des dinettes.

Mon cœur se mit à cogner si fort, devant le lac, que je dus m’asseoir un moment. Beaucoup de souvenirs revenaient occuper le manège de ma mémoire ; Les bateaux en papier que nous faisions voguer sur le lac, le petit qui cria « La mer ! », tout content, un jour de vent, en pointant du doigt les bouts de papier flottants. L’enfant de lumière qui l’emporta dans ses bras brutalement, pour l’éloigner de nous, cette question que je n’aurais jamais dû poser « C’est quoi LA mer ? », cette mère qui s’énerva, les yeux remplis de ce qu’à postériori, j’aurais qualifié de panique « Mais voyons, ça n’existe pas ! ». Je me sentais submergée, comme les petits bateaux au vent finissaient toujours par prendre l’eau. Mais tu n’étais plus là, Thys.

Le soir approchait et je devais rentrer. Je savais que même en me pressant, j’allais avoir du retard pour dîner, qu’on allait me poser des questions. Alors je marchai vite, mais pas trop, le temps de reprendre mes esprits. J’apportais un soin tout particulier à la régularité de ma respiration. L’air frais du soir sur mon visage m’aidait à me remettre les idées en place. Je me faufilais dans les rues presque vides, telle une ombre. Au niveau de la Place du Colosse, il me fallait la dépasser par la gauche. Je déboulai sur le grand boulevard, où les lampadaires semblaient se passer le mot pour commencer l’un après l’autre leur besogne de lutte contre l’obscurité. Leur ronronnement stérile était presque rassurant, au milieu de toutes ces lignes architecturales qui découpaient les larges murs en nuances de gris. Au détour d’une rue, j’entendis le son d’une émission radio par la fenêtre, des gens discuter doucement derrière une porte entrouverte et le murmure d’un chat ou d’une machine à laver. Quelques lumières jaunâtres s’allumaient chez les habitants du quartier. Je passais sous le portique d’un immeuble : c’était un raccourci connu pour accéder aux Cités Blanches. Après un dernier tournant, je descendais la rue des Lilas, il ne restait plus qu’à traverser le square - où on pouvait sentir l’odeur des glycines et des lilas au printemps - pour finalement rejoindre le hall du foyer. J’allai d’abord monter dans ma chambre pour déposer le livre, avant de rejoindre les autres. Lire des livres n’était pas mal vu, mais celui-ci, de par son usure, n’avait rien de commun et je ne souhaitais pas qu’on m’interroge.

Mon entrée dans le réfectoire se déroula sans accroc, bien que j’étais arrivée en plein milieu du plat principal, on ne m’en tint pas rigueur, Ystli me fit signe de m’asseoir ; je pus m’installer à ma place et prendre le repas en cours. Yud poussa un léger soupir de soulagement et se mit à sourire de façon asymétrique en me jetant un regard complice. Pour le reste, la nourriture n’était ni moins bonne, ni meilleure que d’habitude, ce qui nous semblait déjà bien. Ceux d’entre nous qui étaient à la cérémonie mangèrent un peu moins que les autres. J’aimais bien cette vie en collectivité. Mais bientôt, j’allais pouvoir quitter le foyer, ou y rester encore un peu, selon mes souhaits. On pouvait s’installer comme on voulait, seul, en couple ou avec des amis. Yud m’avait déjà proposé d’emménager ensemble après la Fixation et pourquoi avec un ou deux autres de nos compagnons de grade. Ce soir-là, il m’en reparlait en insistant sur le fait qu’Onélia ferait une bonne candidate, puisqu’elle était facile à vivre et ordonnée, ce qui compenserait un peu avec lui, sur le second point. L’ombre bienveillante de Thys planait sur la conversation, nous le savions, mais notre deuil avait commencé ; imaginer des plans d’avenir nous rendait heureux. Peu après, je partis me coucher.

Entre trouble et clarté
Fluctuante est ma flamme
Car l’eau est ma cité
Le siège de mon âme
Entend frémir la mer, la mer est un miroir,
Le reflet de tes yeux, des lumières du soir,
La profondeur des dieux, la surface et l’abysse,
Au bon vouloir des cieux, la paix et le caprice.
La bouteille volée
La jetée sur le port
Que la houle salée
Boit quand le marin dort…

« Mer, abysse, jetée, port, houle, marin… » : autant de mots inconnus qui se glissaient en moi, chimères ailées, insaisissables, se frayant un chemin incertain dans mon imaginaire. Après avoir analysé chaque terme, chaque vers, cherchant désespérément à en extraire le sens, les yeux tous secs, écarquillés, à la lueur de la lampe, ébouriffée par ma lecture, fascinée certainement, je refermai le livre. La journée avait été longue, intense. Sans m’en rendre compte, je tombais dans un sommeil profond fait de songes fluides et agités.


*

On n’a pas souvent l’occasion de se rendre à la Citadelle. Mais pour le jour de l’Affirmation du Choix, qui advient durant l’année des vingt-et-un ans, on est convoqué seul là-bas. Yud m’avait accompagnée jusqu’à l’entrée ce jour-là. Sur le chemin, il semblait soucieux pour moi, il voulait me montrer son soutien. Il disait toujours qu’il fallait se « serrer les coudes ». Lui n’avait pas encore été convoqué. Aucun de nous deux ne savait exactement dans quelles conditions l’Affirmation avait lieu, mais une chose était certaine : Yud se montrait bien plus inquiet que moi. Nous nous sommes mis d’accord pour qu’il ne m’attende pas, ne sachant pas combien de temps cela durerait. Mais nous allions pouvoir nous retrouver pour déjeuner, plus tard dans la journée. Un peu avant l’heure du rendez-vous, nous nous sommes enlacés, il m’a glissé à l’oreille quelque chose qu’il n’avait jamais osé me dire : « Tu comptes tellement pour moi, Nehua. » Je l’ai serré plus fort encore. Puis, je me suis reculée, en plongeant mes yeux émus dans les siens, j’ai rejoint la porte tambour qui s’est déclenchée à mon approche. « J’ai hâte que tu me racontes un peu ! Ce que tu pourras. » Je lui ai souri et je suis entrée, d’un pas aussi lent que la rotation de la porte me l’imposait.

Je me présentais au garde, déroulant la convocation qui avait jaillit d’une large poche intérieure de mon manteau. Il me fit passer sous un portique métallique et me montra la chaise où patienter en attendant la Grande Mère. Le siège était installé juste derrière la barrière de sécurité, perdu au milieu de la pièce vide. Je commençai à observer les hauts murs en béton ciré, éclairés par d’immenses fenêtres fumées perçant la façade dans mon dos. Il y avait trois petites portes noires sur le mur de gauche, trois identiques à droite et au fond, une porte plus large et plus richement ornée, à double battant. Le plafond était d’un gris brut, parcouru de moulures qui formaient des chemins géométriques, où des cercles et des carrés étaient enchevêtrés pour accueillir en leur centre un imposant lustre en cristal - semblable à une fontaine perlée - qui flottait à quelques mètres au-dessus de ma position. Au sol, un marbre blanc au veinage rosé laissait apparaître çà et là de légères intrusions d’or. La moitié de l’ouverture d’en face s’ouvrit, dans un long grincement, on devinait la silhouette d’Ystli dans l’embrasure. « Suis-moi » lança-t-elle d’un ton neutre qui résonna étrangement dans la salle glaciale. Je m’exécutai sur le champ.

Je m’attendais à rejoindre une pièce rectangulaire du même acabit que la première, mais ce fut un long couloir plutôt étroit, épuré, en béton toujours, que nous traversions d’abord. De petites portes noires alternaient, à intervalle régulier, avec de grands miroirs plus haut que larges. J’évitais de tourner la tête, car un léger vertige me prenait, lorsque je contemplais nos deux êtres – semblables à deux spectres – se refléter à l’infini dans la galerie. Ses cheveux presque blancs sous la lumière artificielle diffuse, contrastaient avec ma chevelure tout à fait sombre. Elle me précédait d’un pas soutenu que j’avais fait mien. Pourtant, c’était comme si le sol se déroulait sous nos pieds, nous empêchait d’avancer. Mais tout au bout pourtant, les reflets s’arrêtaient, une porte double se tenait là, devant le corps en mouvement de la Grande Mère. Nous arrivâmes, elle me fit rentrer la première en ce lieu que je n’aurais pas pu imaginer. « Bienvenue dans le Hall Nocturne. Je t’en prie, Nehua, installe-toi sur le siège blanc. »

C’était un siège en plastique mat et lisse, moulé d’une seule pièce, où tout était en courbures, depuis le large dossier en demi coquille, qui vous auréolait la tête, jusqu’au socle dénué de pieds, en passant par des accoudoirs tout arrondis. Il était installé devant un bloc noir laqué, rectangulaire, qui faisait office de bureau. Face au siège il y avait un simple tabouret cylindrique, de la même matière que le bureau. On distinguait mal les limites du hall, tant la pénombre l’envahissait. Les seules sources de lumière émanaient de petits points blancs - de taille indéterminée - qui criblaient le plafond à la façon semi-chaotique d’une voûte constellée. Les grandes dalles de roche sombre étouffaient le bruit de mes pas. Mon corps s’étala de tout son long dans le fauteuil éclatant, qui épousait harmonieusement mes courbes, tout en me maintenant fermement à la verticale. Ma bouche émit un fin soupir de satisfaction. Ystli se joignit à moi et s’assit à son tour. Elle m’observa sans rien dire en cet instant distendu, hors du monde, qui me parut fort long. Quand elle brisa le silence, elle m’expliqua méticuleusement ce qu’impliquait la Fixation des vingt-et-un. Je savais déjà tout ça. Mon destin serait intimement scellé à celui de la communauté, je devrai consacrer ma très longue vie à préserver la beauté de la Cité de Lumière, auprès de mes semblables, que je m’engageais à respecter, à aimer et à ne jamais abandonner. Puis elle ajouta qu’en aucun cas je ne devais quitter le Val de Lumière. « Si tu t’y engages, répète après moi : J’affirme, en mon âme et conscience, qu’en acceptant de procéder à la Fixation des Vingt-et-un, je tournerai ma vie vers la communauté du Val de Lumière. Je serai pour toujours un Enfant de Lumière. »

Un peu tremblante, je commençai à répéter « J’affirme… », quand soudain, mes lèvres se refermèrent sur elles-mêmes, comme pétrifiées. Il m’était impossible de les bouger. J’étais incapable de poursuivre. Une chape de plomb s’abattit lentement sur moi. Mes épaules commencèrent à s’affaisser. Ystli avait cessé de me regarder depuis quelques minutes déjà, son visage pâle, de trois-quarts, semblait se perdre dans les profondeurs du hall. Elle sortit - d’un tiroir dissimulé - deux documents d’une blancheur agressive et un stylo noir. « Quand tu auras fait ton choix, signe et dépose le contrat ici » En parlant elle enfonça l’interrupteur carré, presque fondu à la table, mais légèrement surélevé, à côté duquel une fente à peine plus sombre que la roche, s’ouvrit. Sur ces mots elle se leva, je vis sa chevelure s’enfoncer dans l’ombre. La porte claqua. J’avais froid. J’aurais voulu qu’il se trouve une fenêtre, une simple ouverture sur un ciel véritable. Pour me rassurer. Pour me calmer. Pour m’échapper.

Je restais immobile, jetant un œil sur le premier rectangle blanc qui découpait la table et dont le titre éclatait en lettres dures contre ma rétine « Affirmation du Choix pour la Fixation des Vingt-et-un » et puis sur le second, à peine plus doux « Refus d’accéder à la vie éternelle », qui exerçait sur ma main une plus forte attraction, lorsque je me saisis du stylo pour apposer ma signature. Dans ma grande solitude, j’imaginais la face de Yud s’abaisser sous le poids de la trahison et ses yeux que je n’allais plus jamais revoir en face : c’était à mon cœur de tressaillir quand cette vision de lui s’éloigna à grande vitesse, pour devenir minuscule et disparaître - sous l’effet d’un tunnel aspirant à la force brute, corollaire irrémédiable d’une machinerie toute-puissante vouée à retirer froidement toute chose chère en ce monde. Je pliai la feuille en deux – et activant le mécanisme - l’expédiai dans le secret trou du bureau. Le papier à peine avalé, la posture inclinée vers une main encore ouverte, je m’étais figée, laissant les larmes couler silencieusement. Dans un frisson, je sentis une porte qui semblait s’ouvrir derrière moi. Comme un petit automate, je me suis levée, j’ai marché, une jambe après l’autre, derrière un voile brouillé - les filets d’eau sur mon visage, une statue sous la pluie – guidée en direction d’un rectangle de lumière, brèche aveuglante et salvatrice. Bientôt, tout devint blanc.

La porte se referma derrière moi. C’était une petite pièce carrée, illuminée par ses propres parois. En son centre siégeait une petite femme nue en nacre. Elle était dressée sur un présentoir angulaire, et ses bras tombaient le long de son corps droit, dans une rigide verticalité qui ne masquait ni ses seins, ni son pubis. Ses épaules et ses fesses reposaient contre une fine colonne ronde, qui remontait jusqu’au plafond. Je me mis en tête de chercher une sortie : glissant patiemment mes doigts dans tous les interstices, qui semblaient dessiner timidement deux portes, l’une en face de l’autre. Rien ne se passa. Cependant, j’entendais vaguement un bruit étrange et continu qui s’amplifiait un peu aux abords de la statue. J’allais poser ma main sur elle, quand je découvris avec étonnement un bouton - pas plus visible que celui du bureau - inscrit dans le socle. Je l’enclenchai avec prudence. Une trappe s’ouvrit dans la colonne – qui était creuse - laissant échapper une chaleur subite, dans le vacarme d’un feu vomissant. Je me baissai en maintenant l’interrupteur et aperçus les flammes qui léchaient les parois intérieures, un mètre plus bas. Il me fallait probablement brûler quelque chose pour avancer mais j’étais venue les mains vides, je n’avais rien d’autre que les vêtements que je portais... C’est ainsi que je compris qu’il me fallait me dévêtir entièrement, ce que je fis presque machinalement, sans me poser de questions, car si j’avais réfléchi trop, ma pudeur aurait sans doute pris le dessus. J’avais perdu tout ce qui me rattachait à ce monde, sans pouvoir dire au revoir : abandonner mes vêtements au feu n’était qu’une espèce de suite logique, un dépouillement nécessaire. Quand mes habits et mes chaussures eurent nourri la fournaise, je lançai un petit sourire à la statuette, comme j’aurais salué une vieille camarde, avant d’entrer dans la salle suivante, dont l’accès venait de se déployer.

J’atterrissais dans un espace plus familier, un tapis de laine gris épousait le parquet, on y trouvait une robe pliée sur une chaise – elle était simple comme un bol de lait et tombait parfaitement – et à ses pieds, des sandales à ma taille, que j’enfilais aussitôt. Au fond, un lourd rideau pourpre m’appelait à le dépasser. Ce fut une fête de voilages et de tissus sombres, que j’écartais pour me frayer un chemin. Des spots de lumière étouffée s’allumaient et s’éteignaient depuis des recoins masqués, clignotant subitement avec violence, dans une cacophonie rouge et blanche de déclencheurs métalliques. Une bouffée d’angoisse me pris alors que je tentais de maintenir ma trajectoire la plus droite possible, pour ne pas me perdre. Je ne cherchais pas à comprendre le sens de ces épreuves. Je les subissais voilà tout. Le ciel me manquait, allais-je le retrouver ? Serait-il différent ? Soudain, un nouveau rideau de velours barra ma route. J’arrivai enfin dans une nouvelle salle, circulaire cette fois. Les battements de mon cœur se calmèrent, tandis que je tentais de comprendre ce qui m’attendait.

Au centre se trouvait une table ronde et tout autour étaient disposés en cercle dix minuscules arbres empotés, chacun d’une essence différente. Devant chaque plant était fixé un cadre vide, accordé en couleur et en style au pot qu’il accompagnait. Sur la table, une ardoise et une craie attendaient sagement. Dans cette drôle d’exposition où dix petits univers étaient présentés, je me figurai que j’avais à écrire une dernière pensée. Il m’était difficile de réfléchir : je ne me sentais plus vraiment moi-même. Je n’étais rien, ou plus grand chose. Je me contentais de continuer, sans même savoir ce qui m’attendait quelques mètres plus loin et j’étais moins certaine encore d’en sortir entière. Je rassemblai mes forces, pour faire sortir cet ultime cri qu’on m’autorisait à laisser. Les mots ne vinrent pas tout de suite et puis, repensant à l’épitaphe de Thys, la retournant dans tous les sens, une joie m’envahit et une idée germa :

« Mouvoir l’immobile,
Émouvoir l’indifférent,
Rencontrer l’inconnu. »

Je glissai l’ardoise sous le saule pleureur, quand lentement, la table s’enfonça jusqu’au niveau du sol et déroula ses marches vers le bas, autour d’un pilier central. Alors, j’ai emprunté l’escalier avec un brin de rêve dans la tête.

En bas, l’espace qui se manifesta n’était autre qu’une monumentale salle de réception en pierre, très longue, comme l’enfilade de tables qu’elle abritait. Sur les tables et en hauteur - quelques rangées en-dessous de l’imposante charpente - dans les renfoncements qui avaient pu faire office de fenêtres autrefois, des bougies montées sur des chandeliers argentés offraient à la pièce une luminosité chaude et tremblante. Sur les dalles froides, mes pas se relayaient et dans l’air, leur écho apportait juste assez de vie pour en ressentir une profonde solitude. Les bancs auraient pu aisément loger une centaine de personnes pour dîner. Comme une assiette m’attendait à cette place, je m’assis sur le siège le plus proche de moi ; le second, à l’autre extrémité de la pièce, répondait par un vide pesant. Aucun autre couvert ne serait mis. Personne ne viendrait me rejoindre. Pas même Yud. Je croquai lentement, sans grande conviction, dans le morceau de pain vieilli qui ferait office de dernier repas offert par la Communauté. Je frissonnais quelque peu, l’endroit me paraissait bien plus glacial que le reste de la Citadelle. Et puis, ma mâchoire connut une résistance inattendue, de celles qu’un bout de pain, même très rassis, serait incapable d’offrir. Je sortis avec un certain dégoût l’élément suspect de ma bouche. C’était une émeraude polie, de celles que j’avais pu rencontrer au Jardin. Elle était encore sale et tandis que je l’essuyais dans la manche de ma robe, les petites flammes des chandelles révélaient ses splendeurs avec mystère et parcimonie.

L’émeraude était la pierre des Enfants de Lumière. Chacun en recevait une à la naissance, qui était gardée à la Citadelle dans une salle que je n’avais jamais vue. Elle vous était remise lors du rituel de la Fixation. Un coffre conçu pour la contenir était offert avec et des réceptacles pour ces coffres étaient installés dans chaque habitation, selon une norme bien établie. Ainsi, il était impossible de la perdre. Elle symbolisait notre destin personnel dans l’éternité de la Communauté. Chaque émeraude était tout à fait unique, de par ses inclusions, bien qu’elles avaient toutes été polies de la même manière, aux mêmes dimensions, selon un procédé standardisé. La mienne resplendissait, entre mes doigts en pince, que j’inclinais avec tendresse pour faire danser la lueur d’une bougie à travers elle. L’émerveillement fut interrompu par un gémissement de porte. Sans me presser, contemplant une dernière fois les profondeurs verdoyantes, je finis par me lever, le poing serré sur la pierre.

Il y avait, quelques mètres derrière l’ouverture, une autre porte, plus modeste et fermement fermée. Sur le mur, un petit boitier comprenait un trou ovale de la taille de la pierre. Résignée à continuer, c’est avec un pincement au cœur que je vis l’émeraude s’éloigner dans le tube, et tomber dans le mécanisme pour savamment disparaître. Pour comble, cela ne produisit aucun effet. La frustration se muait en colère fébrile, je me mis à frapper la porte ; après trois coups, celle-ci pivota sur l’axe de ses paumelles, affichant une grande salle circulaire entourée de hautes colonnes de roches. Je descendais les marches en cercles concentriques, rejoignant le centre pavé de mosaïque. Levant les yeux vers le dôme cloisonné taillé dans la pierre, je fus saisie par la vision fantasmagorique de ces silhouettes blanches qui s’avançaient sur le sommet des colonnes. Une capuche recouvrait leur tête et leurs visages, tous identiques, affichaient les traits neutres et sévères d’un masque de porcelaine. Et puis, d’en haut, les fantômes entonnèrent le chant du départ. Je m’effondrai sur les genoux. Les larmes coulèrent en cascade, gouttant au sol, sous l’effet de la gravité de leur voix. L’air s’était empli de sens et moi d’une nostalgie qui bourdonnait dans un profond déchirement. Tout se mit à trembler, mes lèvres, mes mains, la pièce. Je levai la tête, la dernière marche s’allongeait, les ombres éclatantes sortaient de mon champ de vision, leur chant se dissipait, tandis que la plateforme roulante tombait lentement, et moi avec…

Un puits sombre m’entourait pendant de longues minutes. Les blocs de pierre taillée défilaient de bas en haut dans un frottement continu. Soudain, je vis une chose que mes yeux peinèrent à voir : un morceau de ciel déploya son royaume, derrière une herse. Je fus bientôt totalement éblouie. J’avais envie de sauter, sans pour autant parvenir à me relever. La plateforme s’immobilisa. Je perdis un instant connaissance.

Le réveil fut pénible. J’étais étendue sur une terre rocailleuse, non loin d’un immense édifice pierreux qui gangrénait la montagne. La herse était fermée ; on avait surement dû me déposer là afin de pouvoir remonter l’ascenseur et veiller à ce qu’aucun individu ne s’introduise dans la Citadelle. J’étais enfin dehors, sans nul doute dans ce que l’on nommait l’Arrière-Cour. Du moins c’est ce que j’espérais, malgré le degré élevé d’incertitude qui embrumait mon avenir. Je hissai mon corps douloureux pour me remettre debout. J’y parvins non sans douleur, car un caillou tranchant m’avait entaillé la main dans le mouvement. Ma robe qui avait été blanche, avant d’être poussiéreuse, absorbait maintenant quelques gouttes de sang. Je n’avais pas l’habitude du sang mais je fus plus fascinée que troublée.

À quelques pas de là, il se trouvait un panneau monté sur un rondin, où trois planches taillées en pointe indiquaient chacune une direction différente. Je suis restée plantée là, savourant pour la première fois une décision que j’allais prendre. Dans ma fatigue, je me sentais si légère. Ce fut une vague d’excitation qui me secoua de la tête aux pieds. Mon cœur battait énergiquement, d’une façon nouvelle et délicieuse. Trois horizons s’offraient à moi et je savais exactement où aller. Je pris la route de « Port Blanc », avec pour seul véritable regret de n’avoir pas pu emporter le livre avec moi.

Il n’y avait personne sur ce sentier montagneux. Je me demandais si seulement j’allais finir par croiser âme qui vive. Il y avait bien ces oiseaux qui tournaient dans le ciel et ces petits rongeurs qui montraient le bout de leur museau parfois. Et bien que leur présence m’apaisait, j’aurais aimé trouver quelqu’un à qui parler. Les herbes étaient rases, à l’exception de quelques touffes. Des poignées de fleurs minuscules parsemaient l’étendue. J’avais toujours connu les montagnes, mais jamais de si près. D’ici, elles paraissaient plus sauvages, plus indomptables, entre leurs coulées de graviers, leur végétation rare, leurs sommets, leurs crevasses, leurs chaos et leurs rochers enchevêtrés, figés dans de surprenantes formes. Le soleil tombant était encore haut. Malgré tous mes efforts, je ne marchais pas vite. J’avais soif et un étrange sommeil pesait sur mes paupières.

Au loin, sur le bas-côté, un point noir qui crachait de la fumée dénotait du reste du paysage. Je discernais peu à peu une marmite, sur laquelle je m’apprêtais à me jeter, pour y boire avec les mains, quand une voix implacable m’arrêta net : « Inconsciente ! Vous allez-vous brûler ! » Je tournai la tête vers un abri triangulaire fait de tissu, que je n’avais remarqué qu’à moitié, tant il se fondait dans la roche et tant mes yeux étaient obnubilés par le pot en fonte. Retenue par des doigts recourbés, une fente sombre s’était formée au milieu et laissait apparaître deux billes étincelantes qui semblaient me fixer depuis quelques minutes déjà. Le personnage entreprit de sortir de sa tanière ; à sa vue, un mouvement de recul me percuta. Il était voûté, tant sa tête – parcourue d’innombrables plis qui s’affaissaient – devait être lourde sur son corps frêle. « Ce n’est que le poids des années, ma grande. Avec un peu de chance ça vous arrivera aussi. » Je n’en croyais ni mes yeux, ni mes oreilles et baissant la tête vers la soupe qui bouillonnait, je vis qu’il me tendait une écuelle et une cuillère. « Merci » lui lançai-je hébétée.

Lui qui campait régulièrement dans les environs, cela faisait plus de dix ans qu’il n’avait pas vu quelqu’un revenir de « l’Intérieur » - c’est ainsi qu’ils nommaient la Cité de Lumière ici. Le bouillon était bon et le soir s’étalait entre les monts. Je n’avais jamais observé autant de détails dans la voûte céleste. Nous avons discuté jusqu’à tard dans la nuit, au chaud, près du feu. Il montrait beaucoup d’intérêt pour mon histoire et me posait des questions sur ma décision de partir. « La mer ? Vous la verrez demain matin. » annonça-t-il d’un air amusé. Il m’avait proposé de rester dormir au campement ; Port Blanc n’était qu’à deux heures de marches d’ici, mais je devais reprendre des forces. Il me prêta un grand châle et une couverture pour la nuit. Je m’endormis au coin du feu, un fin sourire posé sur les lèvres.

Calice

- Poème -


Ton nom se perd sous la voûte de mon crâne
Souveraine rémanence du monde parallèle
Où nos coeurs l’un pour l’autre sculptés
Goutte après goutte viendront se rencontrer
Que de soupirs tremblent les parois humides
Quand sous tes doigts se transforme la roche
Et que tes yeux nourrissent la terre
De folles fleurs sauvages
Aux corolles décloses
Qui tour à tour frémissent
Et succombent
Alors dans les gouffres fleurissent
Des cristaux de mémoire
Que nous irons cueillir
Au soir
Et plongerons avec soin
Dans l’or de notre coupe

Je n’osais pas alors...

- Poème -


Je n’ose rêver de toi
De nos paysages alchimiques
Des infinies vibrations
Qui coloreraient nos voix
De la flamme joueuse
Qui vivrait dans nos yeux
Et qui voyagerait
Bien au-delà des cieux

Je n’ose imaginer
Mon frère d’armes amoureux
Quel genre d’ennemi
Oserait se dresser
Sur notre doux chemin
Ni tant l’ardeur inouïe
Que nous vouerions à vaincre
Chaque jour
Chaque nuit

Je n’ose concevoir
La secrète merveille
Que nous irions bâtir
Ensemble
Ni les mille trésors
Que nous pourrions forger
Pour un baiser de miel

J’ose pourtant affirmer
Que je ne t’attendrai pas
Pour grandir et m’envoler
Retrouvons-nous là-bas

Le château

- Poème -


Plus beau encore que l’or du soir,
Plus grand aussi que le ciel noir,
Dans nos regards je fus saisie,
Par cet éclat de poésie.

Nos yeux miroirs devinrent loi,
Quatre flambeaux qui n’ont pour foi,
Que l’éternel temple serein,
Ainsi bâti par notre lien.

Quand nous parlions nous construisions,
Le socle dur des fondations,
Parlons encore, demain s’installe,
Inscrit nos voeux sur une stèle.

Quand nous changeons, les murs en verre,
Épais se meuvent de lieu en ère,
S’étendent loin parmi les âges,
De tableaux peints en paysages.

Prenons un temps, un peu plus sage,
D’exploration, de nettoyage,
Un balai dru, un peu de mousse :
D’un souffle vif la salle pousse.

Englobe-nous, respire fort,
Ventre douillet du château-fort,
Tu sais trop bien qu’en toi repose,
Le goût de la métamorphose.

Le mage et la sorcière

- Poème -


D’un grimoire secret nous tournons une page,
Dans l’aube tamisée de la bibliothèque,
Où des rayons dorés nous balaient le visage,
Traversant le vitrail d’une joie intrinsèque.

Or le voeu merveilleux d’une chandelle flotte,
Prodiguant dans l’air lourd, paresseux et sublime,
Un miracle d’amour, ouvrant sur un abîme,
Dans lequel resplendit l’intérieur d’une grotte.

Nous entrons rondement dans cet antre magique,
Quand la curiosité éveille nos pouvoirs...
Sur les parois jaillissent des morceaux de savoirs,
De lumineux dessins, dont le tracé indique

Mille et une épopées, remplies d’étranges choses,
Que nous devons mûrir, que nous devons garder,
Pour les traduire afin de mieux les partager,
Et les conter en rêve pour les paupières closes.

Nos demeures immortelles

- Poème -


Dans l’obscure illusion de l’esprit tourmenté,
Vogue un sanctuaire pur sur la brume sereine,
Exhalent les parfums et le soupir hanté,
De cette île-vaisseau secrète et souterraine.

Nous en rêvons gisants, les yeux à peine clos,
De ce palais perdu, refuge imaginaire,
Nous sentons ses jardins, entourés par les eaux,
Ses colonnes d’or blanc que le soleil éclaire.

Sur l’arcade alanguie, antique et solennelle
Dansent les vieux lampions et les lianes en fleurs,
Les rideaux, les fanions, de soie et de flanelle
Aux couleurs de la vie, que rythment les humeurs.

En ces lieux préservés où règne en harmonie
Comme une aura de soin qui guérit l’affliction,
L’âme autrefois meurtrie à la joie s’est unie,
Et c’est le coeur léger qu’elle en fait sa maison.

Toi aux yeux phares

- Poème -


Toi aux yeux-phares
Qui s’illuminent
Sur l’océan de notre amour
Toi qui vois tout
Du haut de ta colonne
Blanche lumière
Guide dans l’onde
Passeur des ténèbres
Digne commandant
Des vents contraires
Perçant la houle
Dans un couloir
Tourbillonnant
De sel
De souffle humide
De vagues chahutées
Toi le sondeur des flots
L’infini amoureux
Toi qui m’appelles
Me cherches et me trouves
Ramène-moi à bon port
Montre-moi le chemin
Serre-moi fort
Bientôt
Je cesserai de me perdre

Le goût des roses

- Poème -


En toi j’ai retrouvé le goût des roses,
Mots doux entre tes lèvres, pleines d’espoir.

Alors j’ai attendu, que tu déposes,
Sur ma bouche un secret, que je voulais savoir.

Comme un bouquet fleuri, si délicat,
Déclos je l’ai senti abreuver mon essence.

Des rosiers alentours, le reliquat,
Aux plis pleins de rosée, nous observe en silence.

J’en cueille une avec toi, d’un beau geste apaisé,
Embaumant le jardin dans un si doux baiser.

Avec toi je connais une drôle de chose :
Dans nos coeurs empourprés a poussé une rose.